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GÉOPOLDIA

 

 

GÉOPOLITIQUE – QUESTIONS INTERNATIONALES
MÉDITERRANÉE - MOYEN-ORIENT & ZONES LIMITROPHES

 

Géopolitologue, Docteure en Sociologie politique (EHESS), Chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Membre du CA de l'iReMMo. Carole ANDRE-DESSORNES est spécialiste des Rapports de forces et Violences / Méditerranée - Moyen-Orient & zones limitrophes. Chargée d'enseignement à l'ICP, Conférencière & Formatrice en Géopolitique, également auteure de nombreux articles et ouvrages.

 

 

 

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«Qui connaît l’autre et se connaît ne sera point défait ; qui connaît Ciel et Terre volera de victoire en victoire».
Sun Tzu, L’art de la guerre, ch6, Vide et plein.
«Si la guerre c’est la continuation de la politique, c’est que la politique est elle-même déjà la guerre».
Jean Svagelski, L’idée de compensation, l’Hermès, 1981.
«L’imprévu lui-même est en voie de transformation et l’imprévu moderne est presque illimité. L’imagination défaille devant lui…Au lieu de jouer avec le destin comme autrefois une honnête partie de cartes, connaissant les conventions du jeu, connaissant le nombre de cartes et des figures, nous nous trouvons désormais dans la situation d’un joueur qui s’apercevrait avec stupeur que la main de son partenaire lui donne des figures jamais vues et que les règles du jeu sont modifiées à chaque coup.»
Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, in œuvres, Gallimard, bibliothèque de La Pléiade, Livre II, 1960.

Le XXIème siècle sera celui de la Chine ! Voilà qui en dit long sur la place qu’on accorde à cette puissance émergente. Serait-ce le fruit d’un fantasme ou tout simplement une réalité qui se dessine petit à petit ? N’oublions pas que ce pays-continent1 qui nous impressionne tant sort d’une longue période de léthargie et d’un siècle d’humiliations où les puissances européennes et le Japon se sont prêtés à un dépeçage en règle. Cette Chine pense que le temps de la « revanche » est arrivé.
Aujourd’hui ce sont ses intérêts qui prévalent et dictent sa politique tant à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur ! Elle entend bien prouver qu’elle est un pays auquel on ne dicte plus sa loi, ce qui la place désormais sur le « terrain de jeu » des Etats- Unis.

On ne prend guère de risque en affirmant que ce sont les relations sino- américaines qui prévaudront au cours de ce XXIème siècle. Celles-ci oscillent entre rivalités, coopération et suspicion.
Les Etats-Unis envisagent comme probable la percée en Asie d’une Chine qui poursuit une ambition régionale, mais affirmer que cette ambition serait planétaire semble sortir tout droit de l’imagination de certains politiques, voire d’experts.
La paix et la stabilité sont deux facteurs indissociables pour une Chine qui souhaite poursuivre sa croissance économique, ce qui à bien des égards explique sa volonté d’opter pour un multilatéralisme et à devenir un acteur incontournable de la scène internationale ; à ce stade, son admission au sein de l’OMC en décembre 2001 aura été une date historique majeure.
Force est de constater que la présence américaine est de plus en plus difficilement supportée. Seulement il est évident que ni les Etats-Unis, ni la Chine n’ont intérêt à entrer dans un conflit. Une coexistence pacifique serait alors plus probable ; ce qui ne signifie par pour autant que l’on fasse table rase des divergences et points de tensions. Même si les relations sino-américaines aboutissent à un antagonisme plus marqué, les Etats-Unis, tout autant que la Chine, ont de bonnes raisons d’écarter tout affrontement direct.
Il est évident que la Chine va tout entreprendre pour modifier les rapports de force ! Les Etats-Unis, quant à eux, perçoivent bien le véritable enjeu qui se fait jour à l’aube de ce XXIème siècle.

La disparition de l’URSS et par conséquent la fin de la Guerre Froide ont permis à la Chine de prendre le chemin de l’affirmation de sa puissance et de rétablir sa place centrale en Asie.
La Chine est aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’administration américaine aussi bien dans le domaine de l’économie que dans ceux de la sécurité et des ressources énergétiques. On ne peut nier la compétition économique entre les deux pays au même titre qu’on ne peut ignorer l’interdépendance économique qui les lie. Les dossiers nord-coréen, taïwanais, de sécurité en Mer de Chine retiennent toujours l’attention de Washington, de même que les besoins énergétiques placent les Etats- Unis et la Chine en situation de concurrence.
Il est clair que les Etats-Unis n’envisagent à aucun moment d’être supplantés par une autre puissance en Asie Orientale ; même s’ils nient toute revendication impériale, ils peuvent apparaître, à certains égards, comme arrogants et dominateurs.

La question de la puissance chinoise est d’actualité du fait même du formidable redressement économique qui s’est opéré ces vingt dernières années. Dans les années 1990, les relations sino-américaines ont été extrêmement tendues, au point de frôler la rupture. Malgré tout, ces crises ont été surmontées, ce qui ne veut pas dire que toutes les inquiétudes ont disparu. Il est un fait que Pékin affiche, depuis quelques années, une politique étrangère qui serait plus encline au compromis, cependant l’unilatéralisme américain soulève toujours le même mécontentement de la part des autorités chinoises qui jugent que Washington les empêche d’établir une influence reconnue sur la région.
Même si la Chine suscite de vives inquiétudes aux Etats-Unis, notamment au sein de l’opinion, même si les antagonismes restent déterminants quant à la conduite des politiques étrangères respectives des deux pays, il n’en demeure pas moins que la Chine n’est pas prête à évincer la puissance américaine.
La politique américaine s’éloigne d’une vision, semble-t-il, plus optimiste voire un certain angélisme émanant du vieux continent ; sans doute l’Europe et à fortiori la France ont un peu trop tendance à faire table rase de toutes les difficultés et instabilités qui risquent à tout moment de mettre un frein à cette ascension chinoise.
Il faut bien avouer que certaines des menaces, qui pèsent sur la Chine, correspondent tout simplement aux difficultés d’une économie en développement qui effectue une transition assez fulgurante vers l’économie de marché.

Certes la Chine souhaite très certainement incarner le rôle de puissance régionale, mais en aucun cas elle ne vise un rang de puissance hégémonique globale ; qui plus est, même si elle le souhaitait, elle n’en aurait pas nécessairement les moyens ; en effet, un grand nombre d’interrogations subsistent quant à ses capacités à relever le défi américain.
Les ambitions chinoises attisées par un nationalisme de plus en plus exacerbé et instrumentalisé, se heurtent aux intérêts américains. Cependant la Chine et les Etats-Unis ont des intérêts communs : les Etats-Unis sont indispensables à la Chine car ils sont, malgré tout, perçus comme assurant un environnement pacifique propice à sa croissance économique, de même que la Chine se révèle être une pièce maîtresse de l’économie américaine.

La puissance américaine est unique et, pour elle, l’enjeu géopolitique principal reste l’Eurasie. Sa primauté dépend alors de sa capacité à conserver cette position et à maintenir la Chine dans la position d’une puissance « annexe ».
Le retour de la Chine constitue la question géopolitique majeure de l’Asie, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’on va assister à la mise en place d’une sphère d’influence chinoise qui étoufferait le Japon et rejetterait les Etats-Unis.

Après la disparition de l’URSS, la RPC2 reste le seul grand pays socialiste de l’après-guerre froide. A partir de la période d’ouverture avec les Etats-Unis, la Chine n’aura de cesse de faire barrage ou du moins de contourner le lien qui unit les Etats- Unis au Japon ; elle doit faire face aux prétentions américaines dans la région ; les Etats-Unis demeurent la puissance militaire majeure en Asie. Ceci ne signifiait pas pour autant que la Chine allait rester indéfiniment en arrière-plan, la preuve en est qu’elle a récupéré en 1997 HongKong et en 1999 Macao3 ; même si ces rétrocessions étaient prévues de longue date, ces dernières symbolisent une victoire de la Chine sur l’Occident.

La Chine fascine autant qu’elle inquiète : elle s’est résolue à accepter de l’Occident ce qui lui permettait de développer son économie, mais il n’a jamais été question de renoncer à sa spécificité ni même à son indépendance politique et culturelle. Cette Chine porte haut et fort sa différence !
Jusqu’à maintenant les autorités gouvernementales paraissent contrôler les déséquilibres qui caractérisent la RPC, mais si des crises majeures se produisaient, ne risqueraient-elles pas de précipiter le pays dans des violences à l’extérieur même de ses frontières ? Voilà une des nombreuses interrogations qui peuvent se poser à l’heure actuelle.

1La Chine compte plus de 1 milliard 300 millions d’habitants, soit près de 1/5ème de la population mondiale.
2RPC, République populaire de Chine.
3HongKong a été rétrocédé le 1er juillet 1997 et Macao le 20 décembre 1999.

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