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GÉOPOLITIQUE – QUESTIONS INTERNATIONALES
MÉDITERRANÉE - MOYEN-ORIENT & ZONES LIMITROPHES

 

Géopolitologue, Docteure en Sociologie politique (EHESS), Chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Membre du CA de l'iReMMo. Carole ANDRE-DESSORNES est spécialiste des Rapports de forces et Violences / Méditerranée - Moyen-Orient & zones limitrophes. Chargée d'enseignement à l'ICP, Conférencière & Formatrice en Géopolitique, également auteure de nombreux articles et ouvrages.

 

 

 

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Se demander si l'on s'oriente vers une Europe de l'Espace ou une Europe puissance, revient à se poser la question de savoir jusqu'où peut-on élargir l'Union européenne ?

A l'heure où les Etats-Unis se sont imposés comme la seule superpuissance mondiale et où d'autres puissances, comme l'Inde et la Chine, émergent, quelle place l'Europe peut-elle escompter occuper ?


L'Union européenne, avec l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie depuis 2007, comprend 27 membres, passant ainsi, en cinquante ans, de 225 millions d’habitants (pour l’Europe des six) à plus de 482 millions d’habitants ! La Croatie et la Macédoine n’ont pas tardé à formuler, à leur tour, leur demande pour entrer dans cette Europe. On comprend dès lors que l’Europe est une union à géométrie incertaine et des plus fluctuantes.

L’Europe, à l’heure actuelle, peut être réduite à une simple zone de libre échange et dans ce sens elle est plus un Club qu’un Bloc unifié ! Une certaine volonté politique semble toutefois émerger, mais celle-ci se trouve, pour le moment, privée de la moindre spécificité géographique fixe !

Immédiatement après la chute du mur de Berlin en novembre 1989 et la réunification de l’Allemagne en octobre 1990, l’élargissement semble être une évidence. L’Europe a, petit à petit, changé dans sa « définition géographique », en effet, la Guerre froide maintenait cette Europe dans des limites admises par tous. Le problème aujourd’hui est de savoir si ce processus d’adhésion va se poursuivre indéfiniment !

La candidature de la Turquie n’a fait que soulever le problème, longtemps passé sous silence, des limites géographiques, culturelles, religieuses et économiques de l’Union !

L’Europe sera-t-elle assez solide pour supporter l’entrée d’autres Etats ? L’élargissement, c’est l’assurance du développement de la démocratie, c’est s’acheminer vers une stabilisation des frontières ou tout simplement tenter de créer de nouvelles opportunités de marché !

Cet élargissement compromet-il l’avenir de l’Europe puissance ?
Quelle alternative offrir face à ce processus d’élargissement ?


Le défi majeur est donc bien celui de la construction d’une Europe puissance sauvegardant le multilatéralisme et faisant face à la puissance américaine.


POUR UNE APPROCHE DE L’IDENTITE DE L’UNION EUROPEENNE.

L’Europe serait une extension du domaine initial d’un noyau agglomérant, au fur et à mesure, des éléments issus de sa périphérie. L’Europe se caractérise par un élan sans frontières prédéfinies ! Jusqu’en 1989- 1990, l’Europe qui avait des limites, est à l’heure actuelle en quête de limites ! Les frontières politiques actuelles de l’Union européenne correspondent à peu de choses près à la rupture issue du schisme de 1054 qui mit un terme aux relations entre catholiques et orthodoxes et qui achèvera de séparer les Empires Romain d’Occident et d’Orient.

Pour le moment, la construction européenne reste une association d’Etats. En dépit des valeurs promues par cette dernière, ceci ne suffit pas à produire une communauté politique et par conséquent, ne peut être à l’origine de l’édification d’une Europe puissance.

L’élargissement conduit à une multiculturalité croissante. L’Europe exerce une forte attraction à l’extérieur, ce qui est loin d’être le cas à l’intérieur. Cette construction de l’UE a en quelque sorte contribué à exacerber les particularismes nationaux : en effet, la conscience d’appartenir au même peuple européen n’est qu’accessoire :

L’Europe n’est pas un peuple, mais la juxtaposition d’une multitude de peuples ; cela sous-entendrait alors que l’Europe ne serait qu’une construction arbitraire de géographes. Cette dernière trouverait ainsi son origine dans la paix. Clarifier l’identité européenne est devenu essentiel. Les Européens ont du mal à déterminer les limites de l’Union européenne, à la définir, ce qui a tendance à affaiblir considérablement toute volonté d’affirmer l’existence ou du moins l’émergence d’une « Europe puissance ».

« L’Europe puissance » exclut la réduction d’une Europe à un simple espace de prospérité et un outil de diffusion de la démocratie. Dès les origines, le projet d’unification de l’Europe est à relier à la volonté politique des « Pères fondateurs » de mettre fin aux conflits qui ont mis à feu et à sang le Continent ; la croissance et la prospérité semblent avoir pris le pas, contribuant indirectement, à écarter également toute idée de Guerre en Europe.

Doit-on réduire l’Europe à un espace « civilisationnel » ou un espace de valeurs démocratiques ?

Tant que l’Europe ne sera pas clairement définie, toute demande de nouveaux pays s’avèrera légitime dans la mesure où ces candidats mettront en avant leur volonté de démocratisation.

Beaucoup de ces pays nouveaux adhérents (Pologne, Lituanie, Estonie…) viennent à peine de retrouver leur souveraineté après avoir été longtemps assujettis. Sont-ils en mesure de s’intégrer dans un système qui exige énormément (dont l’abandon d’une certaine souveraineté au profit de l’Union) ?

Quarante années de construction ont fait triompher l’Etat de droit ! Même si sa capacité d’intégration a résisté à trois élargissements conséquents, l’Union européenne traîne avec elle un nombre assez conséquent de problèmes non résolus ! L’adhésion des nouveaux membres est une affirmation de la propre identité de ces pays ! De la conviction des adhérents dépendra également l’avenir de cette Europe puissance. Pour un certain nombre d’entre eux, l’Union européenne a comme unique finalité le fait d’être un immense marché unique, pour d’autres il manque une dimension politique. La crise irakienne en 2003 a été le révélateur d’une certaine défiance de membres à l’égard de l’édification d’une Europe puissance ; en effet, ces nouveaux adhérents n’ont pas hésité à apporter leur soutien aux Etats-Unis.


COMMENT SE TRADUIT L’ELARGISSEMENT ? ET JUSQU’OU ELARGIR ?

L’Europe n’a d’autres frontières que celles des Etats que l’on veut bien considérer comme légitimement européens !

L’élargissement s’est fait jusqu’à maintenant aux dépens de l’approfondissement. Cet élargissement conduira-t-il inévitablement à une Europe marché sans autre objectif que d’offrir un espace de transactions de plus en plus large au détriment d’une Europe puissance ! D’où l’intérêt croissant de revoir l’architecture institutionnelle d’une Europe élargie ; il en va de sa viabilité.

L’élargissement est une réponse à la Guerre froide et à l’effondrement du communisme, c’est stabiliser le Continent, c’est permettre l’avènement d’un monde globalisé tout autant que devoir approfondir des politiques communes. L’élargissement n’est pas qu’un «Eldorado» pour les entreprises des pays membres.


L’Europe, à peine réunit-elle 27 Etats, que l’attention se focalise sur les possibilités d’agrandissements ultérieurs.

Les prochaines étapes relatives à cet élargissement ne peuvent aller que vers l’Est avec pourquoi pas une Russie à terme, bien que celle-ci ne montre aucun désir d’intégrer l’Union européenne, le Sud-Est avec les Balkans, la Turquie voire l’Asie centrale, le Sud avec le Maghreb et pourquoi pas le Machrek.

A défaut de frontières naturelles, les frontières « civilisationnelles » ne sont pas les plus aisées à tracer ! Avec l’adhésion de la Grèce en 1981, l’Europe est allée au-delà de la zone dévolue au christianisme occidental ; à partir de là, pourquoi ne pas aller plus loin ? Le Grand candidat à venir est la Turquie qui est au cœur de nombreuses polémiques ! Jusqu’à maintenant la politique consistait à gagner du temps, or aujourd’hui, il s’avère bien risqué de revenir en arrière ; cependant, la politique extérieure du pays peut constituer un obstacle et pas des moindres : cette politique laisse apparaître un souverainisme bien ancré.

La candidature turque peut-être à l’origine de candidatures de pays de la mer Noire, mais aussi des pays arabes méditerranéens, une fois que le système démocratique sera mis en place, ce qui peut se faire rapidement.

Durant la Guerre froide, la Turquie membre de l’OTAN, faisait partie de l’Europe antisoviétique ; qu’en est-il aujourd’hui ?

Cette même Turquie montre les signes d’une volonté de réaliser la synthèse entre Islam et Démocratie et devenir par là-même un modèle pour les autres Etats musulmans. Il convient avant tout d’éviter de tomber dans le réflexe du repli identitaire ; cela pourrait, à terme, s’avérer dangereux.

Il est clair que l’adhésion de la Turquie soulève l’obligation et la nécessité de définir les frontières de l’Europe. L’Europe serait-elle « un club chrétien » ? A défaut de frontières clairement établies, le christianisme serait-il le critère fondamental « d’européanité » ? Cela semble bien réducteur et problématique et assez simpliste !

On peut aisément imaginer que la Suisse, la Norvège et l’Islande finiraient par rejoindre l’Union européenne, que les Etats issus du démantèlement de l’ex-Yougoslavie sont des candidats potentiels, au même titre que l’Albanie, la Moldavie, la Georgie, l’Arménie ; il ne faut pas omettre de souligner la présence des Etats Transcaucasiens au Conseil de l’Europe ! La communauté avoisinerait alors les 35, voire 40 membres. Il est particulièrement délicat de se mettre d’accord sur les « frontières orientales » de l’Europe qui correspondent à l’extrémité du Continent eurasiatique. L’Oural est une limite purement « académique », mais elle est loin d’être une réalité concrète. Ceci est une preuve supplémentaire que la notion de frontière est purement arbitraire !


L’ELARGISSEMENT REDUIT-IL LES CHANCES DE L’EUROPE PUISSANCE ?

QUELS SONT LES DANGERS AUXQUELS IL FAUT FAIRE FACE ?

Où fixer les limites ? Il semble impératif de préciser que plus on s’achemine vers l’Est et le Sud, plus on touche à des régions dites «instables» ! En effet, des régions comme la Croatie, la Bosnie…connaissent une certaine fragilité, voire une précarité.

Elargir sous-entend, pour l’Union européenne, assumer les problèmes, les tensions que les nouveaux entrants peuvent connaître avec leurs voisins ! L’Europe serait impliquée dans les conflits qui affectent les candidats, et devrait donc les assumer, ce qui exposerait l’Union européenne à un risque croissant d’instabilité interne. Qui plus est, cela semble s’opposer radicalement à toute ambition de faire émerger cette Europe puissance. Il n’est rien de faire remarquer qu’en 2007, l’Union européenne est devenue riveraine de la Mer Noire.

Contrairement aux anciennes dictatures qu’étaient la Grèce, l’Espagne et le Portugal qui ont parfaitement réussi leur intégration à l’Europe, les nouveaux entrants, qui pour la plupart ont vécu cinquante années d’isolement, ne sont pas des pays de proximité : cela contribue à faire apparaître quelques incompréhensions mais aussi et surtout des disparités non négligeables !

A côté de cela d'autres handicaps sont à noter : même si l’élargissement se traduit par une nette augmentation de la population, les dynamiques démographiques sont différentes et le poids démographique des pays fondateurs va en diminuant !

L’élargissement est loin d’exprimer un regain démographique, au contraire : la majorité des nouveaux membres se caractérise par une fécondité atteignant à peine 1,2 enfants par femme, ce qui est inférieur au reste de l’Union européenne (la Turquie serait l’exception avec 2,5 enfants par femme). Il faut 2,1 enfants par femme pour permettre un renouvellement de population. La mortalité de ces mêmes nouveaux adhérents, quant à elle, est plus forte que la moyenne des autres membres de l’U.E. L’Europe des pays Baltes, l’Europe centrale et orientale accusent un retard considérable.

En terme de chômage, là aussi il ressort que dans un certain nombre de pays nouvellement entrés (parmi lesquels la Pologne avec un taux de chômage de 20%), celui-ci est deux fois plus élevé que la moyenne européenne.

Dans ce domaine, là encore les ensembles les plus vulnérables sont l’Europe centrale, les Balkans et les pays Baltes.
La corruption qui sévit dans ces pays est également une sérieuse entrave à toute progression vers une Europe plus forte.

Il est également clair que l’élargissement a tendance à diminuer la possibilité d’une prise de décision efficace émanant d’une seule voix, une décision communautaire qui ferait progresser cette idée d’Europe puissance ; il y a là un vrai risque de laisser la place à des choix qui seraient plus le résultat de marchandages, ce qui ne serait peut-être pas pour déplaire à certains acteurs extérieurs à l’Europe !


QUELLE ALTERNATIVE POUR L’UNION EUROPÉENNE ?

L’élargissement permet-il à l’Europe d’optimiser toutes les chances de devenir une Europe puissance ?

Il paraît vain de vouloir accueillir un nombre inconsidéré de pays, sans approfondir l’Union européenne existante !

Sans se fermer au reste du monde, l’Union européenne ne peut mettre en péril ce qui a déjà été construit ni ce qui reste à édifier ; elle peut néanmoins entamer des relations de voisinage privilégiées avec les membres de la CEI, le Bassin méditerranée…

Cette politique de voisinage n’engagerait pas l’Union européenne sur la voie systématique de l’adhésion ; cette politique court le risque, bien évidemment, de ne pas rencontrer d’avis favorable de la part des pays qui désirent entrer dans l’U.E. En effet, la politique européenne de voisinage assurerait une sécurité ainsi qu’une prospérité, mais écarterait tout projet d’adhésion !


Trois grandes régions semblent alors se dessiner : l’Europe (avec la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie), la Transcaucasie (c’est-à-dire la Georgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan) et la méditerranée (comprenant le Maghreb, l’Egypte, l’autorité palestinienne, Israël, la Jordanie, la Syrie et le Liban).

Certains partisans d’un élargissement réduit n’hésitent pas à imaginer au sein de l’Union européenne une fédération qui correspondrait au noyau dur de la construction européenne, tout en élaborant, parallèlement, une association eurasiatique ainsi qu’une confédération euro-méditerranéenne !

Ce qui ressort de ces propositions c’est une Europe à plusieurs vitesses ! Quoiqu’il en soit il paraît inévitable qu’un approfondissement de l’Union existante s’impose si l’on espère jouer un rôle sur la scène internationale autre qu’économique !

 


L’Union européenne doit-elle demeurer « sous tutelle américaine » ou doit-elle tout entreprendre pour être le pôle autour duquel s’organise le Continent européen ? Il est clair que sur le plan démographique, l’élargissement de l’UE accentue les faiblesses et que sur le plan institutionnel, la capacité décisionnelle est affaiblie !

Il est essentiel de comprendre qu’aujourd’hui, sans Union, aucun pays n’est en mesure de jouer un rôle de puissance sur la scène internationale.

Le nationalisme des Etats apparaît non seulement comme une grande faiblesse, mais aussi comme un frein à toute avancée de la construction européenne.

Les Européens ne pourront exister qu’à partir du moment où le leitmotiv sera l’Union et non plus une juxtaposition d’Etats souverains, et donc où l’intérêt général primera sur les intérêts particuliers !

 

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